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La terre respire, les bêtes se montrent… Je me sens apaisé.

Par Vincent Munier

La pause forcée à laquelle nous contraint la pandémie me procure un sentiment profond d’apaisement. Elle offre un répit à tous les autres êtres vivants : une Afrique sans cinquante 4×4 autour du léopard, un Spitzberg sans agglutination de bateaux autour de l’ours polaire, l’Antarctique vide des paquebots de touristes qui consomment la nature… Et surtout, tous ces bateaux, avions et camions cessent brutalement les mouvements d’un commerce excessif. Oui, j’avoue éprouver cette pause comme salvatrice.

Un microscopique virus fait la preuve de la vulnérabilité de notre civilisation. Dans mon activité de photographe animalier, lors de mes différentes aventures, parfois engagées physiquement, j’ai toujours appris des complications d’une tempête, d’un blizzard, d’un face-à-face avec un ours ou un jaguar. Et ce sentiment de vulnérabilité m’est précieux, je l’ai même souvent cherché. Il remet en cause la prétention débordante de l’espèce dominante que nous sommes, et nous ramène à notre vérité biologique. J’avoue donc ressentir une certaine satisfaction à voir nos sociétés éprouver enfin leur fragilité.

Ce ralentissement, forcé et volontaire à la fois, est une chance pour l’humanité aussi. Il nous montre la voie qui permettra de mieux appréhender les crises à venir, qui seront plus intenses. Nous avons l’opportunité inédite de changer notre manière d’être, de vivre, collectivement et durablement.
Nombreux sont les penseurs écologistes, humanistes, biologistes, agronomes, artistes, écrivains et philosophes qui ont proposé cet autre chemin, en ont tracé les contours et alerté sur les limites à ne pas dépasser. Pour en citer quelques-uns : Théodore Monod, Albert Jacquart, René Dumont, Jean-Marie Pelt, Jacques-Yves Cousteau, Robert Hainard… et plus récemment Pierre Rabhi, Philippe Descola, Coline Serreau, Valérie Cabanes, Fabrice Nicolino, Claude et Lydia Bourguignon, Edgar Morin, Michel Serres, Bruno Latour, Isabelle Autissier, Aurélien Barrau et bien d’autres.

Trop longtemps, trop souvent, leur discours a été marginalisé, déconsidéré, et leur engagement pour la protection du vivant tourné en ridicule. J’ai grandi auprès de personnes qui se battaient contre les innombrables projets qui allaient à l’encontre du bien commun à long terme : développement d’un tourisme déraisonnable, destruction des massifs de vieilles hêtraies sapinières dans nos montagnes des Vosges, pollution de nappes phréatiques, endiguements de rivières, assèchement de marais, industrialisation de l’agriculture, piégeage d’espèces animales dites « nuisibles » (entre autres pratiques de chasse totalement irrespectueuses et désuètes)… Enfant, j’étais à leurs côtés et je sentais bien à quel point ils n’étaient pas pris au sérieux et combien de leurs combats étaient perdus d’avance. Malgré l’énergie folle qu’ils y consacraient, les enjeux écologiques s’avéraient toujours relégués loin derrière les intérêts économiques.

Dans les années 1990, dans une falaise des Vosges, j’ai voulu protéger le nid d’un faucon pèlerin menacé par le projet d’un entrepreneur d’un site d’acrobatie, d’accrobranche et de varappe avec ses promesses d’emplois locaux, qui n’a eu cure de ma mise en garde : « Désolé pour ton faucon ! Faucon pèlerin, dis-tu ? »
Le lendemain de notre rencontre, les œufs du nid étaient cassés. Encore aujourd’hui résonnent au plus profond de moi les cris de ce couple de faucons dans la falaise. Un rapace qui avait presque disparu de France à cause de l’utilisation du DDT, et qui, depuis les années 1980, tentait de reconquérir timidement ses territoires.

Cela me rongeait de voir la légèreté avec laquelle les convictions de mes compagnons étaient reçues ; la figure de l’« écolo-rigolo », grain de sable dans le gros rouage du développement économique. J’ai souffert, au plus profond de moi, de cette moquerie envers nos actions, jusqu’à en faire des cauchemars et insomnies récurrentes, où rejaillissaient des phrases entendues ou des rencontres blessantes vécues en société.

Et pourtant, l’écologie est une science, un champ de curiosité, un éveil aux conditions d’existence, aux liens utiles et indispensables entre toutes les espèces vivantes.

Vive la sobriété heureuse : ralentir pour mieux apprécier et communier avec les autres formes vivantes de la Terre, se nourrir de la beauté du monde. Nous nous devons de modeler un avenir plus cohérent, de donner plus de sens à nos actions, encourager toutes les initiatives de retour à la terre… Cesser de favoriser les « exploitations » agricoles qui sont de plus en plus grosses et de moins en moins nombreuses, et revenir à bien plus de petits « paysans », au sens noble du terme ! Polyculture, polyélevage et circuit court. Maraîchage en ville. Maraîchage dans les écoles… Nombre d’initiatives sont déjà en route et font le bonheur de citoyens partout en France. Cesser l’enlaidissement et l’appauvrissement de nos compagnes. Nous connaissons les solutions.

Prônons l’ouverture à la beauté ! Cessons de dissocier l’homme de la nature. Vivons en harmonie et non en guerre contre les autres formes du vivant. De mon côté, je continuerai à faire de mon mieux pour transmettre cet émerveillement.

Pendant le confinement, le fait de me raccrocher aux autres espèces vivantes a constitué une véritable source d’apaisement. Romain Gary, dans « Les Racines du ciel », évoquait la force de la beauté des éléphants pour échapper aux cruautés quotidiennes du goulag. John Buxton aussi, à qui l’observation du rouge-queue a permis de surmonter sa condition de prisonnier de guerre, ému qu’il était par l’aisance et la grâce avec lesquelles le petit oiseau pouvait franchir les barbelés qui le retenaient, lui. Le fait d’être sensible à la beauté du règne animal peut, consciemment ou inconsciemment, nous guérir d’un mal.

A la faveur du confinement, le faucon pèlerin est revenu dans la falaise… une perspective d’espoir, comme pour nous montrer la voie de la résilience… Marcher silencieusement en forêt. Soigner son potager, aller au poulailler, observer le rouge-queue noir, la pie-grièche écorcheur, la fauvette à tête noire qui arrivent d’Afrique, et autres pic noir, mésange huppée, grand-duc… toutes ces notes animales qui nous tiennent en vie. A vos bêches dans vos jardins privés ou partagés, sur vos balcons, vos terrasses d’immeuble et vos jardinières ! A vos jumelles, chers amis !

Vincent Munier

Coco Tache supports

Oeuvrer pour protéger le vivant - par Vincent Munier

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