Nous étions très pauvres. Le pouvoir avait confisqué les biens de mes parents et mon père attendait d’être emprisonné d’un jour à l’autre. Sa faute : avoir eu une boulangerie qui marchait bien. S’il ne l’avait pas encore arrêté, c’est parce que, généreux comme il avait été, la personne qui devait le prendre, le prévenait et il se cachait. Pour moi, une fille de dix ans, la seule possibilité de continuer mes études était d’être la première dans ma classe. Voilà les examens. La preuve de mathématiques. J’ouvre le billet que j’ai tiré et je découvre le problème de géométrie que nous avons eu pendant l’année scolaire et personne, y compris la maîtresse, n’a su résoudre. J’ai essayé toutes les possibilités, mais je ne réussissais pas à trouver la solution. Le professeur en chef de la commission du concours me demandait de répondre chaque fois qu’un collègue finissait sa preuve. J’atermoyais. Et maintenant c’était mon tour. La fin. J’ai vu le désastre. Ma mère qui se levait avec moi à l’aube et restait éveillée jusque tard la nuit, rien que pour partager mon effort. Mon père qui se laissait déjà tomber dans une maladie inexistante. J’ai levé les yeux vers la fenêtre. J’ai pris une nouvelle page. Mon brouillon était couvert des essais à tort et à travers. Je me suis penché encore une fois sur la figure géométrique. Et là une grande lumière jaune m’a montré la solution. J’ai attendu de loin la voix du professeur qui m’appelait. J’ai répondu. Le professeur est sorti après moi et m’a félicitée. J’étais heureuse. Je savais que nous n’étions pas des prisonniers de ce monde étriqué et injuste. Il y avait une possibilité de lui échapper.