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Pour ma Mère : un trèfle à quatre qui se transforme en montre

J’ai grandi dans une petite ville de Suisse romande, à Porrentruy. C’est une charmante ville du Moyen-Âge dont l’origine remonte à près de deux mille ans. Ma mère y a vécu toute sa vie et, à 80 ans, elle est toujours la propriétaire d’une jolie boutique de cadeaux et d’art de la table: » A la Perle « . Enfant, toute la vieille ville était notre terrain de jeux. Pas une porte ne gardait son secret, pas une ruelle ne nous était inconnue. Les enfants de commerçants grandissaient sans surveillance et sous la garde de tous, et surtout du bon Dieu. C’était la liberté totale.
Dans la rue, toutes les boutiques étaient occupées par des artisans. Ils y étaient tous: l’horloger, le cordonnier, le tailleur, la modiste, le boucher, le boulanger, le sculpteur, le ferronnier, le peintre et tant d’autres. J’étais passionnée par tous ces gens de métier qui travaillaient sous nos yeux.
Avec leurs enfants nous passions des heures à les regarder et observer leur savoir-faire. Et surtout nous voyons leurs épouses qui semblaient les reines de la boutique puisqu’elles recevaient les clients et tenaient la caisse.
A cette époque pour moi, c’était les femmes qui faisaient tourner le monde. Les hommes étaient à leur travail et les femmes aux commandes. Nous habitions tous dans nos maisons au dessus du magasin. Il n’y avait pas de séparation entre le travail, la famille et les loisirs.
Car les loisirs étaient forts simples alors. Quand il faisait beau chacun sortait sur le pas de porte pour tailler une petite bavette avec la voisine de passage. Le soir, tous sortaient une chaise et s’installaient sur le trottoir pour discuter. Les enfants jouaient tout autour. Parfois, même les parents participaient.
Le tout rythmé par les fêtes catholiques qui ne manquaient pas. C’était alors l’occasion de manger, rire et s’amuser ensemble. Où était Dieu là dedans, je ne saurais vous le dire, mais sûr qu’il était présent puisque c’était lui que nous fêtions.

Bien sûr, il y avait les cancans, les jalousies, les bons et les méchants, qui n’étaient pas toujours les mêmes, comme dans toutes les tribus. Mais en cas de coup dur, la solidarité était de mise.

Et puis un jour : Le trèfle à quatre feuilles.
Par un bel après-midi de fin d’été, je pars flâner dans la ville. J’ai huit ans et je sais où je vais. A la place des tilleuls. Là, il y a une petite fontaine et j’aime bien m’y amuser. Si je mets mon doigt dans le jet, il gicle tout autour. C’est bien quand il fait chaud. Je m’amuse avec application et je finis par être complètement mouillée. Je ne peux pas rentrer ainsi, je vais me faire gronder.
La place des tilleuls est une très jolie place. C’est là que le dimanche, dans le kiosque à musique, la fanfare donne son concert. Le kiosque à musique, quelle merveille. Il est grand, il faut monter les marches de fer et on arrive sur une place ronde. Tout autour il y a une belle grille en fer forgé pour nous empêcher de tomber quand on fait les fous à se courir après en criant. D’ailleurs, c’est génial quand on crie, si on se met au milieu ça résonne. Mon grand-père m’a expliqué que c’est fait exprès pour la fanfare. Ainsi on croit qu’il y a beaucoup plus de musiciens. C’est grâce au toit comme un chapeau de chinois. La musique monte au milieu et redescend et remonte et redescend. C’est grâce à ce grand chapeau que notre fanfare est si belle. Seule, je saute et je cours et je tourne et je danse et je chante. Je redescends les marches en les faisant résonner. Quel tapage dans le calme chaud de l’après-midi!
La place des tilleuls est entourée d’une grille assez haute. Elle a été construite sur un terrain en pente à la sortie de la ville au début du XXe siècle. Pour qu’elle soit bien plate elle a été remblayée. Ce qui fait que de l’autre côté, il y a un talus. Quand les garçons jouent au foot, le ballon passe par-dessus la grille et il faut courir aussitôt après sinon il dévale la rue. Pour faire vite, un barreau de la grille a été enlevé. Je me glisse hors de la place et m’amuse un moment dans le talus à monter et redescendre en courant pour m’entraîner à être rapide. Heureusement, il n’y a pas de voiture qui passe sur la route.
Puis je continue ma balade et j’arrive à un terrain en friche en face de l’épicerie Gisiger. Je vais cueillir un bouquet. Tout à coup, j’aperçois un trèfle à quatre feuilles. Je le cueille et je pars en courant pour l’apporter à ma maman. J’ai entendu dire que les trèfles à quatre feuilles, ça porte bonheur. Elle va être contente maman. Depuis que mon papa est mort, il n’y a pas longtemps, elle dit souvent  » comment est-ce qu’on va s’en sortir? » et parfois même elle pleure. Je cours toujours en tenant le trèfle serré dans mes doigts. Il faut que je me dépêche et il ne faut pas que je le perde. Toute essoufflée j’arrive au magasin. Maman, maman, j’ai trouvé un trèfle à quatre feuilles! Ne te fais plus de soucis, on va avoir de la chance. Elle regarde mon trèfle avec attention et dit : il faut le garder précieusement. Elle trouve un petit tube en verre et glisse le trèfle à l’intérieur. Elle m’embrasse et glisse le tube entre ses seins, près de son coeur. « Comme ça, partout où j’irai, je l’aurai avec moi ». Je suis si heureuse.
Quelques années plus tard, elle me montre le petit tube avec à l’intérieur une poussière de trèfle « à quatre feuilles ». Tu vois, il nous a porté chance. On s’est pas trop mal débrouillées.
Alors là, je décide que je ferai un jour pour ma maman quelque chose de très beau, de merveilleux, qui ne se transformera pas en poussière et qu’elle pourra avoir sur elle toujours. Quelque chose qui lui portera chance et lui donnera du courage. J’ai dix ans, je ne sais pas ce que se sera, mais je trouverai, je le sais.
Il m’a fallu bien longtemps pour réaliser mon rêve d’enfant, pour réaliser un chef d’oeuvre pour ma maman. C’est finalement à 50 ans, pour les 70 ans de ma mère, que je l’ai créé. Et pour que l’amour filial soit complet je lui ai donné le nom de mon père : DELANCE.

Cette montre qui symbolise le temps des femmes, je l’ai créée pour toutes les mères, pour toutes les filles, pour toutes mes soeurs de coeur. Pour vous dire que vous êtes merveilleuses, talentueuses, courageuses, magiques. Que c’est merveilleux d’être une femme, tout simplement.

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